Il a coutume de se dire Antillais sur scène, Arménien dans la vie. De fait, celui qui se dévoile dans un nouveau
spectacle tout en humour et légèreté, est loin de l’attitude profondément posée qu’il affiche en entretien.
L’Antillais et l’Arménien en lui ne sont alors pas forcément ceux que l’on pourrait croire... Rencontre avec ce métis-sage
qui vous veut du bien.
Pascal Légitimus (photo Philippe Delacroix)
Dans votre spectacle vous revenez sur le proverbe africain ‘Si tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi, et regarde d’où tu
viens’. Savez-vous où vous allez Pascal Légitimus ?
Oui… mon but est d’être humain. S’il y a un diplôme que je voudrais obtenir, ce serait
celui-là, et non celui de metteur en scène ou autre. Globalement je pense avoir atteint la moyenne.
J’ai l’impression qu’on n’est pas plus heureux aujourd’hui qu’au Moyen-âge. Les gens sont névrosés et j’ai envie
d’égayer tout cela, de l’arranger autant que possible avec mon humour et mon travail. Et je suis heureux quand avec ce spectacle, j’ai par exemple beaucoup de témoignages positifs d’enfants
métisses.
Qu’apprenez-vous quand vous
regardez en arrière ?
Je ne regarde pas beaucoup en arrière. Je n’en ai pas besoin, car tout ce passé est intégré. J’essaie de vivre dans
l’instant présent, et je suis assez conscient de ce que je fais, donc quand j’agis c’est mûrement réfléchi.
Quel a été le déclic pour créer ce spectacle maintenant ?
Il n’y a pas eu de déclic, c’était quelque chose de constant. Ayant toujours subi des brimades qui me faisaient sentir
ma différence, il était évident que j’en parlerai un jour. Là je suis mûr, et le métissage est devenu quelque chose d’assez universel, Obama en est l’illustration.
Pendant des années j’ai pris des notes sur ma famille, il y avait quand même des choses très drôles. Evidemment je ne
dis pas tout, mais la musique, la danse et la façon de faire la fête par exemple, très présents dans mon spectacle, sont ce qui peut parler à tout le monde.
Dans ce nouveau spectacle vous vous dévoilez aussi sur des sujets personnels. C’est courageux mais ce ne doit pas être facile de
parler ainsi de soi…
Je déteste parler de moi, alors je me suis créé un personnage qui est toujours dans la légèreté, qui s’amuse. A la
base je n’aime pas le principe du stand-up, mais pour que cela me convienne le spectacle bouge. Je danse et joue beaucoup de rôles. Par exemple quand j’ai la perruque afro, qui
représente mon adolescence, je sors beaucoup de vannes, mais ce sont des choses vraies, dites à travers des humeurs.
Dans Plus si affinités,
spectacle qu'il a co-écrit et interprété avec Mathilda May de 2008 à 2010
Que voyez-vous de meilleur et de
pire dans vos deux origines, côté Antillais et côté Arménien ?
Chez les Antillais, le pire est peut-être l’atavisme de l’esclavage, qui les rends tristes, inféodés par esprit de
revanche, et qui a du m’influencer beaucoup. Le meilleur est leur sursaut de joie malgré tout, un peu comme pendant l’après-guerre, où on ne se prenait pas au sérieux…
Ce n’est pas ce que je vis mais je le comprends. Le côté antillais que je vis est surtout lié à ma famille, la
vibration d’aujourd’hui. Je ne suis pas Antillais, j’y vais en vacances, mais je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis moi, déjà.
Côté arménien, le négatif que j’observe est du même ordre, tout ce ressassement du passé, de cette non reconnaissance
de la part des Turcs, je le ressens dans la famille. Le positif vient de leur côté plutôt artisan, besogneux, avec le sens de la famille. C’est d’ailleurs pourquoi je dis être Antillais sur
scène, et dans la vie Arménien, c'est-à-dire calme, détendu, réfléchi, et beaucoup plus intériorisé.
Comment avez-vous écrit et préparé ce spectacle ?
J’ai commencé par écrire mon histoire, et avais ainsi trois heures de spectacle. Mon metteur en scène (Gil
Galliot) l’a retravaillé, lui donnant la forme et la dynamique actuelle, sur une heure quarante environ. Deux amis humoristes (Rémy Caccia et Arnaud Gidoin) ont ensuite rajouté des
blagues là où ce pouvait être trop sérieux.
Dans Demandez la permission aux enfants (2007)
Film d'Eric Civanyan (ami et complice de scène depuis le
lycée) avec Sandrine Bonnaire
Un travail d’écriture important transparaît dans votre spectacle, au-delà de l’humour vous avez des choses à dire et soignez donc
aussi le fond…
Au départ je n’ai pas été formaté pour être drôle, je voulais être acteur. Mais faire rire les autres est une manière
de se faire accepter plus facile. Depuis j’ai fais énormément de choses (pour le théâtre, la télévision, le cinéma) mais dans mon jeu, il y a toujours une profondeur et mes choix artistiques se
fondent sur ce postulat.
Avec l’écriture c’est pareil, au début ce que j’écris n’est pas drôle. Je l’arrange après, avec l’humour, qui me
semble très important : c’est comme la vaseline qui fait mieux passer les choses et ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir cette liberté. Comme Michel Sardou qui se fait convoquer à
l’Elysée parce qu’il a critiqué le Président, mais où va-t-on ?
Quelle est selon vous la clé de votre succès ? Ce qui fait que de Laurent Ruquier à Mathilda May en passant par Antony
Kavanagh et beaucoup d’autres encore, on vous a toujours sollicité ?
Ma capacité à me mettre au service, un côté transmetteur, coaching. J’ai le sens de l’harmonie : quand on me
montre une photo, une affiche, ou une chanson, j’arrive à rétablir la ‘normalité’, ce qui doit être. C’est un sens du partage et l’esprit d’équipe aussi, et je suis assez inventif. J’ai beaucoup
d’idées sans avoir trop d’ego ; je peux m’effacer ce qui est le contraire de certains metteurs en scène dont on voit trop les ficelles.
Bizarrement on est toujours venu me chercher, et c’est vrai que tous ces gens ont marché pas trop mal. Donc je dirai
que ce qui fonctionne c’est le fait d’être à l’écoute, et d’aller dans le sens de ce que veulent les gens. Je comble les lacunes ou les carences, un peu comme une vitamine.
Quel regard portez-vous sur votre aventure avec Les Inconnus ?
C’est plutôt génial, on a fait tellement de choses, avec un succès et des taux d’audimat incroyables… Chacun avait
envie de développer son jardin personnel mais nous ne sommes pas séparés d’esprit. On est toujours amis et on vit chacun à notre rythme. On a aussi envie de prendre notre temps pour préparer
notre retour de la meilleure manière.
C’est une fierté d’être ainsi membre d’un groupe, d’une famille qui est autant aimée du public. On n’est pas des ‘has
been’, mais des ‘will be’.
Pascal Légitimus, Didier Bourdon et Bernard Campan
( Le fameux trio des
Inconnus dans leur premier film Les Trois Frères -
1995)
Y-a-t-il autre chose que vous souhaiteriez ajouter ?
Oui, je suis ravi de voir des Arméniens et des Antillais dans la même salle, c’est un beau changement par rapport à
mon histoire où il n’y avait que deux personnes arméniennes dans ma famille (ndlr : dont sa mère, au mariage de ses parents seul le père de celle-ci était présent). D’autant
plus que c’est ma mère qui a dragué mon père, ce n’était pas le black qui a voulu une petite brune.
Comment s’étaient-ils rencontrés ?
Mon père était musicien, et elle a du le voir une fois puis est revenue pour lui parler. Ce qui est drôle, c’est
qu’Henri Salvador qui a toujours été mon idole, un modèle, s’est marié avec une Arménienne aussi, mais eux n’ont pas eu d’enfants (ndlr : Jacqueline Garabédian, sa seconde épouse de 1950 à
1976 date du décès de celle-ci). Cette coïncidence est pour moi frappante, avec cet artiste métis que j’admirais. Une preuve que tout était possible aussi pour un métis comme
moi.
Propos recueillis par Jilda Hacikoglu
Interview à paraître dans le France-Arménie de novembre
2011