Pur produit d’un genre musical qu’il joue depuis plus de 30 ans, Gaspard Ossikian[1] signe avec Oriental Mood un nouvel album qui télescope avec un bonheur inouï, ses racines arméniennes et blues : une première qui vaut le détour.
Il était une fois un bluesman invétéré, Gaspard, qui ruminait depuis longtemps l’idée de marier sa musique avec les instruments traditionnels arméniens. Un jour, il se sent prêt, décide de tenter l’aventure, et l’Année de l’Arménie booste ses plans.
En 2007 il va à la rencontre de l’orchestre Spitak qui se produit au musée d’art moderne de Saint-Etienne, pour l’exposition Paradjanov. Agop (duduk) et Kevork (dehoul), deux piliers du groupe de musique traditionnelle arménienne, le confortent dans son idée.
Quelques mois plus tard, il les recontacte avec de nouvelles compositions dédiées sous le bras : ensemble ils arrivent à apprivoiser 2 styles que rien ne lie au départ, et l’album est enregistré.
Sa 1ère présentation reçoit un accueil chaleureux lors du concert de lancement à Saint-Etienne en avril dernier, et le fameux festival de blues de Cognac a déjà programmé cette troupe originalement métissée[2] pour son édition 2008 (23, 24 et 25 juillet).
Depuis, Gaspard a banni le mot «hasard» de son vocabulaire, et il y croit dur comme fer : «La vraie nouveauté, naît toujours dans le retour aux sources».
Il faut dire que son passé d’Arménien – sa famille fait partie des rescapés du génocide qui ont ensuite été « Naufragés de la terre promise[3] » – et la vie qu’elles lui ont donnée, ont clairement orienté son destin vers le blues, la musique des oppressés qui ne peuvent s’exprimer librement. Arraché de son Arménie natale, Gaspard résume : «mes racines puisent d’un côté dans l’Euphrate, de l’autre dans le Mississipi» fleuve des esclaves noirs, où est né le blues. Il remarque sur cet état que «c’est intemporel, le cross-road (croisée des chemins), on y est tous».
Le résultat est un album qui rend d’émouvants hommages aux personnages incontournables de son passé : Miss Margot est dédié à Madame Marguerite Belekian, la première à franchir le barrage des autorités communistes de l’Arménie en 1956 pour venir dire au ministre français de l’époque, la détresse de ses anciens ressortissants français.
La chanson Under the moon[4] est la traduction littérale du prénom de sa grand-mère (Lussentag), orpheline marquée à jamais par le génocide, qui par ses histoires, lui a transmis une culture arménienne et un amour sans mélange de la vie. D’autres chansons illustrent la vision simplement humaine et universelle de Gaspard, à travers des personnages arméniens cocasses (Gugo’s boogie), cosmopolite (Human being l’Arménien y est un parfait caméléon international) ou désireux d’enterrer la hache de guerre (Ara qui invite une jeune Turque à comprendre).
En travaillant le blues avec le duduk, le dehoul et le canon pour représenter l’âme arménienne, une porte s’est ouverte entre les 2 univers musicaux. Un aperçu explicite des démons que le musicien exorcisait jusqu’ici par le blues, et qui ne l’empêche pas de déchaîner son énergie dans des morceaux plus «classiques» – à sa manière – (Tobacco Road, Epouse de service, ou Click on me baby).
Gaspo-djan s’est arrangé pour que les sonorités arméniennes intègrent le blues de Gas par touches subtiles et heureuses, à la manière des vieux contes traditionnels de son Orient natal.
Jilda Hacikoglu
Oriental Mood
Album sorti le 16 juin, distribué par Mosaic, chez les revendeurs habituels (fnac, virgin, forum, petit détaillants).
Egalement ouvert au téléchargement sur internet ; détails et prochains concerts sur www.myspace.com/gasblues ou voir www.mosaicmusicdistribution.com
[1] Voir FA n°288 janvier 2007
[2] G. Ossikian (guitares, chant), Agop Boyadjian (duduk), Kevork Cherkherdemian (dehoul), Yvon Chéry (basse), Laurent Falso (batterie), Aroussiak Guevorguian (canon), Richard Vecchi (synthé).
[3] Livre de Robert Arnoux relatant l’histoire des arméniens de France rapatriés en Arménie soviétique en 1947.