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11 août 2012 6 11 /08 /août /2012 15:25

Aussi sûr que le sage qui a prononcé ces mots est mort : la nuit porte en elle le matin.


Bizarrement, ce n’est pas ce qui réconforte le doctorant en lettres modernes, aux prises avec cette citation dont il n’arrive décidément pas à retrouver l’auteur. Elle convient pourtant si bien à ce chapitre final qui doit magnifier la conclusion de ses quatre longues années de thèse. Longues les années à s’user le derrière, sur des sièges inconfortables de bibliothèques tristes de ne voir que mers de têtes penchées sur la poussière de volumes fatigués. Tristes les soirées sacrifiées à la correction de copies d’étudiants inscrits en Faculté de Lettres uniquement, semblait-il, pour mieux buller en charmant les étudiantes peuplant la faune ambiante. Sinistres les têtes à têtes avec son directeur de thèse, pour qui rien ne semblait jamais plus naturel que lui faire réécrire des pans entiers de sa thèse, pour mieux rendre perceptible l’influence qu’il avait sur le travail de son doctorant, désespéré lui d’avoir vu en ce maître une sommité utile à son objectif.


Las, le directeur de thèse était choisi, et il n’aurait pas été de bon ton d’en changer quand l’envie s’en était sérieusement faite sentir après un an. Las, la voie du doctorat nécessitait ce travail de sape traditionnel du directeur de thèse sur sa victime aspirante au docte titre. Las enfin, il ne retrouvait pas le mystérieux auteur de cette maxime si pleine d’espoir, riche de possibilités, et lumineuse avec des mots si simples.


La nuit porte en elle le matin.


Le voilà le véritable miracle qui l’avait conduit à choisir cette carrière d’esclave des professeurs sadiques : sept mots et l’on pouvait ouvrir mille univers pour le lecteur, les lecteurs.


Pas le miracle de ces sept mots-là en particulier, ils ne sont en fait qu’un exemple parmi bien d’autres de l’art de composer phrases en ordre choisi pour transporter qui les lit, vers d’autres cieux. Peu important de quels cieux il s’agissait, ils sont justes autres. Vacances merveilleuses de la vie, si facilement volées au détour de quelques pages lues dans un métro qu’on préfère ne pas regarder, sur le fauteuil confortable d'un dimanche de repos, ou pelotonné au fond d’un lit avant de s’abandonner au sommeil grâce à cette coupure d’avec la vie réelle.


On lit pour sortir de sa vie le temps de quelques pages, mais le paradoxe est qu’on retrouve toujours la vie dans ces pages. C’est simplement une vie autre, portant en elle le pouvoir de sublimer la sienne propre. Orale ou écrite, la littérature est une magie qui existe depuis la nuit des temps, et dont l’étude n’achèvera jamais de révéler les formules secrètes. Parce que la littérature, ce n’est rien d’autre que l’humanité en mots.


C'était en tous les cas la fervente conviction du doctorant presque arrivé au bout de sa peine, le matin espéré que portait donc sa nuit de thèse.

 

 


JH

 


Mado - Esprit libéréToile de Madeleine Ossikian (Esprit libéré ?)

 


 Ce petit texte fantaisiste est inspiré du titre d’un beau livre souvenir, bilingue arménien-turc,  
Գիշերը Առաւօտը Իր Մէջ Կը Կրէ  (>> soit en français "La nuit porte en elle le matin")

 édité en  2003 par le comité des 50 ans de l’école arménienne d’Istanbul (Turquie) Sourp Khatch (Sainte Croix), plus communément appelée Tebrévank.

Une autre histoire en perspective.

 


Un-monde-autre.jpg

Un autre monde ? (Corse juin 2012 - photo JH)

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  • Journaliste contribuant au magazine France-Arménie depuis 2003, et auteur de ce blog créé en septembre 2010. Sur Twitter @HacikJilda
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