On dit que c’est la résistance à l’épreuve du temps qui confirme les chef d’œuvre. Les années, les décennies et les siècles passants, certaines œuvres seront vite oubliées, tandis que d’autres seront encore et toujours savourées longtemps après la mort de leurs auteurs.
Portrait de Tcharents, par le peintre Mardiros Saryan (1976)
Yéghishé Tcharents (1897-1937) est de ceux-là. Au-delà de son statut d’auteur culte de la littérature arménienne, l’évolution de ses idées passionnées durant sa courte vie de poète glorifié puis déchu de l’Arménie soviétique, est singulière.
Originaire d’Arménie orientale (1) Tcharents s’est très rapidement, et très jeune, enflammé pour la cause révolutionnaire et communiste. A vingt ans, il est déjà publié (Légende Dantesque, ou Les Foules en délire), engagé volontaire dans l’Armée Rouge, en même temps que l’un des principaux chantres de l’Internationale communiste.
Encore inconnu dans la toute jeune République indépendante d’Arménie, il est découvert et encouragé en 1919 par son ministre de l’Education et des Lumières, Nigol Arpalian, qui voit en lui un pionnier de la littérature arménienne moderne.
Cette République indépendante ne fît pas long feu et fût soviétisée dès 1921 mais Tcharents s’y installera définitivement en 1923 pour y écrire une œuvre prolifique. Tout au long de la décennie suivante, il s’éloignera toutefois progressivement de l’enthousiasme politique de ses débuts, pour se focaliser sur ce qui fonde l'identité de sa nation.
En 1933 son Livre de voyage marque le recul de ses convictions communistes, et appelle de manière secrète, à l’union des forces arméniennes. Ce qui pour un poète brillant notoirement par l'élan de ses passions, dans une République soviétique, est une pente particulièrement dangereuse.
Comme de nombreuses personnalités de l’époque il finira emporté par les purges staliniennes, et décède en prison à 40 ans.
Or si Tcharents est aujourd’hui adulé en Arménie comme en diaspora, ce n'est pas pour ces premières convictions communistes (en général oubliées d'ailleurs), mais bien en tant qu'ardent amoureux des splendeurs de son pays.
Ses vers les plus célèbres sont ceux qui expriment sa vénération de l'Arménie, et notamment l'un de ses plus importants symboles : le Mont Ararat, ou Massis de son nom arménien (2).
Il est ainsi tout naturellement l’une des figures que l’on croise quotidiennement en Arménie sur les billets de banque ou les timbres poste.
Les vers dont ConnexionsS vous propose la traduction ci-dessous datent de sa première période : publiés en 1918, ils s’inspirent de la toute récente invention de la radio, que Tcharents associe à ses visions internationalistes.
Le futur selon Tcharents, y vibre de la ferveur qui l'a toujours animé. Une ferveur irrésistible, porteuse d’espoirs pour de beaux lendemains qu’il faut s’atteler à conquérir, mais qui porte aussi en elle, comme un repère sacré, les éternelles origines.
Massis est là, blanc sommet qui domine toujours (le Mont Ararat), et Nayiri, qui est une des plus anciennes régions d'Arménie, évoque bien sûr la terre à laquelle Tcharents reste toujours profondément attaché.
ԴԷՊԻ ԱՊԱԳԱՆ
|
Vers le futur (Traduction JH janvier 2013) |
Լցուած է անհուն իմ հոգին հիմա Շփոթ երգերով ու աղմուկներով. Լցուած է սիրտը իմ՝ ելեկտրական Բորբ հոսանքներով: |
Désormais mon âme immense est emplie De chants confus et de tapages, Mon cœur est rempli d’électriques Petits courants. |
Ռադիոկայան է իմ հոգին հիմա Ամբո՜ղջ աշխարհի ու մարդկանց հանդէպ, Ու բա՛րձր է, բա՛րձր է կայանն իմ հոգու՝ Մասիսի նման բարձր է ու հաստատ - Հզօ՜ր, ահարկո՜ւ:
|
Mon âme est désormais une station-radio Envers le monde entier et l’humanité, Et elle est haute, haute est la station de mon âme, Haute pareille au Massis et ferme – Puissante, effrayante ! |
Օրերում այս վառ, հողմավար, շփոթ - Հեռու ու մօտիկ միլիոն սրտերի Ե՛րգն է վիճակուել ինձ երգել այսօր. Իմ բազմամիլիոն, բիւր ընկերների Խինդը այսօրուայ ու թռիչքը մեծ- Գալիք օրերին նետե՜լն է երգիս Վիճակուել այսօր: |
En ces jours ardents, emportés par les vents, confus- C’est la chanson de millions de cœurs lointains et proches, Qu’il m’incombe de chanter aujourd’hui ; La liesse de ce jour et le grand envol de mes multi-millions, innombrables compagnons échoient aujourd’hui à mon chant pour être lancés aux jours à venir. |
Ահա՜ թէ ինչո՜ւ է երգս հաղթական, Ահա թէ ինչու է իմ ձայնն այսօր Յաւերժի նման յամա՛ռ ու հաստա՜տ: |
Voilà donc pourquoi mon chant est victorieux, Voilà donc pourquoi ma voix aujourd’hui Est pareille à l’éternité, tenace et ferme. |
|
|
Ահա թէ ինչու Վիթխարահսկայ, որպէս էյֆելյան Աշտարակը մեծ, Անցած ու գալիք դարերի շեմքին Հզօր, բարձրաբերձ՝ Կանգնել եմ ամբողջ հասակովս մէկ Եւ երգում եմ ես: Եւ հոգիս հիմա՝ ռադիոկայան՝ Իր հրակարմիր երգն է ուղարկում Հեռո՛ւ ու հեռո՛ւ, - Բոլո՜ր սրտերին, որ ապրում են, կան Բոլո՜ր կողմերում: |
Voilà donc pourquoi Gigantesque géant, ainsi que la grande Tour Eiffel, Au seuil des siècles passés et à venir Puissant, prolifique ! Je me tiens debout de toute ma hauteur Et je chante. Et mon âme désormais une station radio, Envoie son chant rouge de feux Au loin et au loin ! A tous les cœurs, qui vivent, De tous les côtés. |
Երգում է հոգիս, հրեղէն հնչում: Գիտեմ՝ այսօրուայ իմ երգի առաջ- Իմ հոգու կարմիր կայծերի հանդէպ- Ռադիոկայան է ամէն մի հոգի, Ո՜ւր էլ նա լինի.- Ամէ՜ն մի հոգի, որ ապրում է, կա Եւ կրում է իր թևերի վրայ Նո՜յն խորհուրդը մեծ, խորհուրդը հսկա յ Օրերի այս վառ, - Այս վառ օրերի խորհուրդը պայծառ: Ամէ՜ն մի հոգի, Որ իր երկաթէ թևերով այսօր Զնգում է, շաչում - Եւ փնտռում է նո՛ր հանգիստ ու օրոր Միլիո՜ն թևերի ըմբոստ շառաչում... |
Mon cœur chante, une résonnance de feu. Je le sais, devant mon chant de ce jour – Vis-à-vis des éclairs rouges de mon âme – Chaque âme est une station-radio, Où qu’elle se trouve, - Pour chacune de ces âmes, qui vit, il y a Et elle porte sur ses ailes La même grande idée, l'immense idée Ardente de ces jours, - L’étincelante idée de ces jours ardents. Chaque âme, Qui aujourd’hui avec ses ailes de fer Tinte, crépite – Et cherche le nouveau calme et berçant Mugissement révolté de millions d'ailes… |
|
|
Գիտէ՞ք, որ հիմա Այստեղ — Նայիրի իմ երկրում աւեր Ու հեռու-հեռուն - Կարմիր Մոսկովում, Տիբէթում դեղին, Սան-Ֆրանցիսկոյում, Լոնդոնում հսկայ Ու Սինգափուրո՜ւմ - Բոլո՜ր վայրերում, բոլո՜ր կողմերում Աշխարհը մի նո՛ր երգով է յղի: |
Savez-vous, que maintenant, Ici – dans mon pays en ruine de Nayiri Et au loin du loin – Dans la rouge Moscou, au jaune Tibet, A San Francisco, l'immense Londres Et à Singapour – En tous lieux, de tous côtés Le monde porte un nouveau chant ? |
|
|
Հէ՛յ, հեռու-մօտիկ Հանքահորերում, գործարաններում, Լայն ստեպներում ու անտառներում - Բոլո՜ր վայրերում, բոլո՜ր կողմերում, Երկաթի՜, բրոնզի՜, հողի՜ ու հանքի Երգով օրօրուած իմ բի՜ւր եղբայրներ, Ո՞վ ունի այսօր կամքը մեր հրէ, Ուժը մեր բոսոր Ու վառ բախտը մեր տիեզերական… |
Hé ! loin-proche Dans les mines, dans les usines, Dans les vastes steppes et dans les forêts – En tous lieux, de tous côtés, De fer, de bronze, de terre et de mine Mes innombrables frères bercés de chant, Qui aujourd’hui a la volonté de notre feu, La force de notre rouge sang Et notre ardente fortune universelle ? |
Ո՞վ ունի այսօր... | Qui aujourd’hui a ?... |
Մե՛նք ենք, որ նո՛ր ենք, հազա՛ր ենք ու բի՜ւր: Երկաթէ հսկայ մի դիսկի նման Բի՜ւր եղբայրների կամքը մեր արի, Տիեզերական - Նետե՜լ ենք արդէն թափով վիթխարի Դէպի հողմերը գալիք օրերի, Դէպի — Ապագան... |
C’est nous, qui sommes neufs, des milliers et innombrables ! Pareille à un énorme disque de fer La vaillante volonté de nos innombrables frères, Universelle – Nous nous sommes déjà lancés avec un gigantesque élan Vers les jours venteux à venir, Vers – Le Futur… |
(1) Il est né à Makou, ville du nord de l’Iran actuel, mais sa famille s’est très rapidement déplacée vers le Caucase, à Kars, ancienne capitale arménienne située à l’extrême nord-est de la Turquie actuelle.
(2) Les vers de Tcharents sur l'Ararat sont si célèbres qu'en Arménie, une arche en hommage au poète a été édifiée sur l'un des plus beaux site où l'on peut admirer le majestueux Massis dominant la plaine (sur la route qui va de Erevan au temple héllénistique de Garni).