Ce qu’on a pris plaisir à lire mérite d’être partagé, c'est pourquoi l'on vous propose l’interview réalisée fin mars avec Madeleine
Ossikian, artiste peintre aux couleurs et motifs vifs, chatoyants, attirants.
A l'exposition "Des racines et des rêves"
Lyon, place Bellecour - avril 2007
Découverte et mise en avant par la Fondation Bullukian à Lyon lors de l’année de l’Arménie en France (exposition 2007 'Des racines et des rêves'), Madeleine Ossikian a
poursuivi sa route et multiplié les supports et matériaux autour de sa peinture. Tant et si bien que les plaques de fers, hublots, fresques murales ou autres roulottes personnalisées n’ont plus
aucun secret pour elle.
A l’occasion de l’exposition en hommage à Frida Kahlo, l’une de ses égéries, qu’elle prépare avec Véronique Dominici à Avignon, elle
éclaire de son regard libre les coulisses d’un travail original : le sien, celui d’autres artistes, et tout ce que lui évoque Frida Kahlo.
Toi et tes œuvres depuis les expos 2007- Evolution de ton travail
Dans tes toiles 'habituelles' toujours plutôt riches en couleurs et féériques, tu es passée de la série des accouchements,
petite fille orientale... Quels ont été tes autres thèmes depuis, et quels ont été tes supports à chaque fois ?
J'ai fait une série sur les chevaux, symboles de liberté, de féérie, des thèmes
arméniens (guerriers, princesse etc..) et toujours mes égéries : Eve, Mata Hari, Frida kahlo, les odalisques etc… J'ai lâché "le dessin réaliste"
pour dessiner avec plus de liberté ce que je sors de moi. C'est ce qu'on appelle chercher son style !
Picasso disait "je ne cherche pas je trouve" ; moi j'ai trouvé... un
peu.
Tu travaillais déjà avec des collages, en partant de photos anciennes, il y a eu ensuite les hublots, et autres matériaux de
récup', roulotte...
Je suis une fille instable ! Non, je plaisante : je tâtonne, je cherche, je suis
dans divers matériaux comme beaucoup de mes camarades artistes de ma génération.
Fût un temps, lorsque la société aimait la peinture de Delacroix pour sa liberté
gestuelle, l'autre pan de la société aimait Ingres pour sa rigueur académique, et les deux camps ne pouvaient que se battre. De nos jours on peut aimer les deux artistes sans problème mais
souvent le prix de cette liberté est une certaine indifférence générale aussi. La démocratie tue la passion pour gagner des amours plus sereines...
Bref pour en revenir à moi, je ne prêche pour aucune chapelle et je fais ce qui me plaît
!
Est-ce qu'avec le recul tu vois un cheminement particulier dans cette évolution ?
Mon travail en général est guidé par ma vie. J'ai peins des accouchements lorsque j'ai
du présenter pour la première fois un travail d'artiste (pour ma Maîtrise d'arts plastiques). Avec le recul je suis née en tant que peintre cette année là.
Puis les sorcières lorsque j'ai quitté papa/ maman pour vivre ma vie de femme et me suis
sentie libre d'avoir des aventures amoureuses (en tant que jeune fille arménienne c'était plutôt tabou à la maison). La sorcière est le symbole d'une sexualité refoulée ou au contraire
envoûtante, tout cela était inconscient chez moi...
Puis des années après, j'ai fait un vrai grand pas dans ma vie, lorsque j'ai décidé de quitter
mon travail alimentaire pour être artiste à plein temps : là je suis revenue aux sources comme une autre naissance. Avec le travail sur le thème arménien, il fallait commencer à réécrire mon histoire. Cela explique les photos en noir et
blanc que je mets dans mes toiles, et pourquoi toutes mes héroïnes sont des femmes du 19ème ou du début du 20ème siècle.
Cela m'a toujours troublée de savoir qu'aucun Arménien ne peux connaître ses
origines au-delà de 3 ou 4 générations. Comme si nous étions tous nés le jour du génocide ! Peut-être qu'à travers ces images je recherche les photos de familles que je n'ai pas ?
Maintenant tous ces thèmes reviennent parfois au gré des expositions...
Qu'est-ce qui t'as guidée à chaque fois que tu rentrais dans un nouveau thème ou support ?
Il n'y a pas longtemps j'étais dans le thème des maisons à
roulettes. Evidemment je suis en plein déménagement, cela fera 3 maisons en 12 ans que nous rénovons, mais il y a aussi l'esprit nomade qui m'anime. J'ai analysé le fait de toujours vouloir
partir par le biais encore de mes origines, et je l’explique sur mon blog :
« faire sa valise » c’est partir pour quitter ou retrouver, fuir ou arriver…
Moi je fais ma valise d’artiste, j’y mets mes couleurs et mon bonheur lorsque je pars pour des voyages
inconnus où je rencontre individus extraordinaires et farfelus…
Enfant de l’immigration on naît avec la route en héritage et la mémoire des hommes et des femmes d’un
autre temps, d’un autre pays, d’une autre vie…
Alors comment ne pas être nomade malgré soi, en effet mes « maisons qui roulent » sont le
symbole d’une sédentarité illusoire quand dans mon esprit et mon cœur je suis toujours (d’)ailleurs.
De plus je fais partie d'une association d'artistes partis d'une idée farfelue : exposer dans des
caravanes ! L'association s'appelle " avis de pas.sages" et nous partons ainsi à la rencontre du public (voir le blog http://avisdepas.sages.over-blog.com)
Quels sont les expo et festivals(vaux) à ton actif, ceux auxquels tu participes régulièrement ou ponctuellement, et les
prochaines adresses où te trouver ?
Pour l'essentiel ce sont les festivals d'arts singuliers, les expo en caravane et les expos en milieu
arménien... A priori j'expose dans les salons de l'UGAB du 10 au 18 décembre 2011 à Lyon (dates à confirmer). Sinon pas mal de sorties en caravane (voir les dates sur le blog) et je
pense travailler sur mon album jeunesse intitulé "le grand plat" (écrit par Sonia Colin d'après une idée originale de Madeleine Ossikian) : j'espère pouvoir l'illustrer et l'éditer pour 2012
! Je recherche une résidence, un financement, mécène ou sponsor !!! C'est l'histoire d'un petit garçon qui contribua à inventer la recette du "salma" etc...
Mais en attendant, aujourd'hui je travaille sur Frida Kahlo, en peinture et
collage.
Frida Kahlo Avec Mata-Hari, elle était
déjà dans tes toiles anciennes, tu utilisais des photos d'elles, c'est bien ça ? Pourquoi ? Que cherchais-tu à montrer alors ?
Je cherche à me construire une identité à travers les personnes qui me font rêver, des destins de
femmes qui appartiennent à la féérie, le contemporain m'ennuie. Je les fais revivre dans mes toiles comme une fan, pour moi ce sont des icônes de la beauté non standardisée, elles
sont fortement sexuées, elles sont martyres et engagées !
Evidemment ma vie ne ressemble pas à leur vie, mais je ne sais pas s'il faut le
regretter, leur destin a toujours été tragique… Cela rejoint un peu ce que je disais plus haut sur nos vies contemporaines sans grands engagements (de ceux qui ont un rapport avec la vie ou
la mort !), sans grande passion, sans risque.
C’est notre lot pour être tranquille... Parfois je le regrette. Boris Vian disait quelques chose comme
cela :"la prudence, c'est pas la vie"
Que représente cette artiste et/ou son travail pour toi ? Qu'aimes-tu dans son art ou sa personnalité ?
Frida Kalho est une artiste mexicaine née aux alentours de 1910, par amour pour Diego Rivera de
20 ans son aîné, célèbre artiste fresquiste du Mexique dont la notoriété dépassait son pays (Europe, Etat Unis surtout, etc…), elle est devenue artiste, pour plaire à
Diego.
Tous deux étaient de fervents défenseurs de la cause communiste, la cause du peuple opprimé, cela
avait du sens à l'époque, et tous deux vivaient libérés de toutes mœurs bien seyantes de la société bien pensante !
Ce que j'admire chez Frida c'est son intégrité face à son destin, son courage face à la maladie.
Elle est née avec une jambe atrophiée et à 18 ans elle fût victime d'un accident de bus qui la laissa pour morte (multiples fractures, un rein en moins, stérilité etc...) Frida a peint beaucoup
de toiles couchée sur son lit...
Mais elle est aussi une femme étrange, androgyne avec ses habits de couleurs et sa pilosité qui est sa
marque de fabrique (sourcils et moustaches). On lui prête des aventures lesbiennes et c'est à la fois une femme qui se sacrifie par amour pour Diego...
Enfin ce que j'aime chez Frida, c'est sa volonté de se promener partout avec ses fleurs dans les
cheveux et ses vêtements mexicains (même en dehors du Mexique) et de revendiquer justement sa modernité par ce folklore, le refus de se confondre avec la
masse.
Si je rapproche cela de mon identité de peintre c'est un peu moi qui refuse de peindre ce qui ne
me correspond pas : en sortant d'une fac d'Arts plastiques avec un D.E.A cela en ferait bondir plus d'un de me voir m'éclater à peindre des princesses et des guerriers ! Et en tant qu'Arménienne
je m'affirme toujours dans cette identité là, sauf parfois dans ma propre communauté à l'esprit par moment sectaire et conformiste.
Frida avait cela de fort : affirmer son identité, ne peindre que sa vie ô combien vécue dans
la douleur, ne jamais vouloir faire de "l'art pour l'art", pour le bizness ou pour la gloire… Qui est capable de nos jours de faire si peu de concessions ?
Comment est née l'idée d'une exposition en hommage à elle/à son travail ?
Une rencontre au festival d'art singulier de Banne en Ardèche, où j'exposais pendant une semaine en face d'une artiste
: Véronique Dominici. Ce festival est une épreuve et les rencontres y sont magiques...
Nous avions parlé à l'époque de notre goût pour Frida Kahlo, j'aimais son boulot de céramiste qui va au-delà de
l'objet, une artiste engagée, sans concession me semble t'il, sensible. Nous nous sommes promis mutuellement de réaliser cette expo qui naîtra donc en 2011, quatre ans après
!
Avais-tu l'impression que Frida Kahlo est méconnue de nos jours en France ?
Frida Kahlo est connue par tous les amateurs d'art. Chaque année une rétrospective à lieu quelque part dans le monde
(Belgique l'an dernier, Turquie pour la première fois cette année), et partout où il y a une expo elle fait le plein. L’artiste fascine au-delà de ses œuvres qui sont parfois difficiles à
regarder tant elles expriment la douleur, les angoisses d'une femme blessée psychologiquement et physiquement.
Pourquoi maintenant ?
Comme diraient les Arméniens : c'est mon destin... Comme je le dirais moi c'est parce que c'est né d'une volonté et
qu'il a fallu bosser pour y arriver, ni plus ni moins !
Comment s'est organisée l'expo-hommage concrètement (avec qui, quand, où?)
En Avignon, le lieu d'habitation de Véronique, c'était plus simple avec moi qui suis sur les routes en ce moment...
Elle a trouvé le lieu, on s'est rencontrées une fois pour réaliser la magnifique photo de l'affiche (LOL comme dirait ma fille) et puis le reste, après tout c'est notre métier
!
Quel a été le résultat : le propos de l'expo, ce que vous avez voulu faire passer ?
Nous verrons cela après, le bilan sera fait : nous voulons simplement donner du plaisir aux fans de Frida et aux
autres, sans la plagier. Exprimer nos sentiments pour elle et ce qu'elle représente à travers nos expressions personnelles. C'est aussi un exercice de style.
Le travail avec Véronique Dominici Quel
est le travail fait avec Véronique Dominici ? (des œuvres communes, ou chacune une partie particulière ? ou autre organisation ?) Comment vous êtes vous partagé le travail pour l'expo ?
On s'est partagé le travail tout simplement selon les envies et compétences de chacune,
c'est juste une organisation. Justement nos boulots ne se confondent pas, moi peintre elle plutôt céramiste/mise en
espace, je pense que nous serons complémentaires car différentes.
Apparemment elle est fan d'Edith Piaf aussi (cf son site), autant que de Frida Kahlo ?
Je pense que c'est le même genre de personnage qui fait rêver, au destin tragique donc si romantique,
romanesque ?
Comment définirais-tu ta contribution et celle de Véronique Dominici sur cette expo ?
Cette expo me tient à cœur depuis longtemps. La seule chose que je sais c'est qu'il n'y aura pas quantité d'œuvres
mais que nous ferons toutes les deux notre possible pour qu'il y ait qualité !
De plus et pour terminer, c'est une expo ouverte comme un début de collection, si cette première est concluante
nous essayerons de montrer nos œuvres aux gré des rencontres et des lieux.
Propos recueillis par JH